L’exception que chaque être constitue

Publié le par tto45

Extrait[1] d’un merveilleux livre qui vient de paraître . Si vous voulez voyager à travers la pensée d’Arendt plongez dans  Le musée imaginaire d’Hannah Arendt de Bérénice Levet (Les essais, Stock).

« Ce qui caractérise les totalitarismes, établit Arendt, c’est moins un pouvoir despotique sur les hommes qu’un système dans lequel les hommes sont de trop. » Ce qui est de trop, au regard des régimes totalitaires, c’est le caractère unique de chaque individu, son imprévisibilité, sa liberté, l’« enclave d’inattendus et de métamorphoses » qui fait son humanité, selon l’extraordinaire métaphore de René Char. Les totalitarismes rêvent d’un monde où chaque homme serait substituable à tout autre, un monde sans pluralité – notion qui n’est pas à entendre en un sens quantitatif mais qualitatif : l’humanité est plurielle en cela qu’elle est composée d’êtres absolument uniques et néanmoins capables de se comprendre, de former une communauté, de partager des expériences. La littérature à l’inverse ne s’attache qu’à la singularité des vies humaines. Il n’est pas de héros de roman dont, à la fin, on ne puisse dire ce que l’on pouvoir dire de tout homme : « Vraiment, il n’y avait personne auparavant. » L’écriture narrative sauve ce que les régimes totalitaires ont tenté de détruire dans les camps de concentration conçus comme laboratoires d’expérimentation visant à « transformer la personnalité humaine en une simple chose, en quelque chose que même les animaux ne sont pas ». Et Arendt de rappeler que le chien de Pavlov auquel on assimile cet homme réduit à un faisceau de réactions, était lui-même un « animal dénaturé », un animal qu’on avait « dressé à manger non quand il avait faim mais quand une sonnette retentissait ».

Tout discours qui accrédite un tant soi peu l’idée d’un homme substituable à tout autre, qui ne cherche pas à défendre l’être dans son unicité est ainsi odieux à Arendt d’où son attachement à la littérature et à l’art et son mépris et sa véhémence à l’endroit notamment de la sociologie et de la psychologie qui résorbent dans des lois générales l’exception que chaque être constitue.



[1] Page 100

Publié dans Arendt

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