Autour des Origines du totalitarisme (1/2) : 1789 - 1951
Troisième cours donné le 12 décembre 2013.
J’ai intitulé cette troisième séquence du cours : Autour des Origines du totalitarisme. Il est en effet impossible de résumer un livre de cette ampleur. Les livres d’Arendt ne se prêtent d’ailleurs pas à l’exercice de synthèse tant sa pensée est riche et ramifiée. Seul le choix d’un fil à dérouler peut permettre d’en construire une vision, sachant que le choix d’un autre fil amènerait un autre angle de vue, différent mais tout aussi valable. Pour ce qui nous concerne ici, je reste dans l’approche du voyage à travers le temps qui a donné son titre à ce cours et cherche simplement à continuer à répondre aux deux dernières des trois questions posées en introduction du récit du 14 novembre 2013. Je vous rappelle ces trois questions :
- Comment la brillante étudiante en philosophie s’est-elle transformée en un penseur politique de premier plan ?
- Que recouvre ce livre, unique en son genre ?
- À quels évènements est-il lié comme l’ellipse à ses foyers ?
Les deux premiers cours ont permis de répondre, de façon détaillée, à la première question. Nous n’avons fait qu’aborder les deux dernières.
En trois heures, deux aujourd’hui et une le 16 janvier 2014, mon ambition se limite à vous donner une vue d’ensemble des Origines du totalitarisme et un aperçu de chacune de ces trois parties vous donnant envie de vous plonger dans une lecture dont vous ne sortirez pas indemne.
En introduction, trois remarques.
Un titre jamais trouvé
À la fin de l'automne 1944 ou au début de l'hiver 1945, Hannah Arendt soumet à son éditeur les premières esquisses du livre qu'elle entend écrire. Elle l’intitule Les éléments de la honte: antisémitisme - impérialisme - racisme. Elle y fait aussi allusion sous le titre encore plus dramatique de : Les trois piliers de l'enfer. Et parfois l’appelle simplement : Une histoire du totalitarisme. Le titre définitif ne sera décidé que six ans plus tard, le livre, considérablement modifié et amplifié par rapport au projet initial, étant prêt pour la publication. Mais le titre, Les origines du totalitarisme, n’est pas entièrement satisfaisant dans la mesure où il ne représente pas une étude génétique à la manière, par exemple, de L'origine des espèces de Darwin. Hannah Arendt souhaitait, mais ne le trouva pas, un titre qui reflète la méthode du livre, méthode très nettement différente de l'historiographie traditionnelle. Le titre retenu, contre son gré, par l'éditeur anglais, Le fardeau de notre époque, s’il ne reflète pas la méthode, en traduit bien le ton.
Un livre « travaillé » pendant près de quarante ans
Si Les Origines du totalitarisme est écrit entre 1945 et 1950 (la préface de la première édition est terminée à l’été 1950), Arendt porte, d’abord seule puis avec Heinrich Blücher, ce livre pendant près de quarante ans. Dès 1933, comme nous l’avons vu dans le premier cours, elle mène, à la demande de Kurt Blumenfeld, des recherches sur l’antisémitisme à la Bibliothèque d’État de Berlin. Ce qui lui vaut d’être arrêtée et interrogée par la Gestapo entrainant, après sa libération, sa fuite d’Allemagne. En France elle tient des conférences sur l’antisémitisme allemand et mène des recherches autour de l’affaire Dreyfus et de l’activité antisémite de l’Action française.
En 1938, après son évasion du camp de Gurs, réfugiée à Montauban, elle lit Proust et Clausewitz et commence à penser à un livre sur l’antisémitisme, le racisme et l’impérialisme. On retrouve, de cette époque, dans Les Origines du totalitarisme le résultat des lectures de Proust et de Clausewitz et de la rédaction, pour Eric Cohn-Bendit, d’une note sur les traités régissant les minorités après la première guerre mondiale.
En 1952 Arendt écrit, d’abord en allemand à Paris, puis réécrit en anglais à New York, un texte Idéologie et Terreur , qui paraîtra dans les deux langues et les deux versions en 1953. Il deviendra, remanié, le dernier chapitre de l’édition allemande des Origines du totalitarisme, édition réalisée par Arendt elle-même en 1955. La version anglaise, à peine modifiée, remplacera, en 1958 la conclusion de l’édition originale tout en étant suivi d’un épilogue consacré à la révolution hongroise, épilogue supprimé dans la troisième édition de 1966. Enfin la préface de la troisième partie sur le totalitarisme sera modifiée pour son édition, isolée, en français en 1972, sous le titre Le système totalitaire.
Un livre et non trois
L’œuvre d’Arendt ne commence à être publiée en France qu’en 1961 avec Condition de l’homme moderne, trois ans après l’édition originale The Human Condition (1958). Sans rencontrer beaucoup d’écho.
C’est la sortie de Eichmann à Jérusalem, en 1966, qui, malheureusement, la fait connaître. Dans un contexte d’intense polémique provoquée par le Nouvel Observateur et culminant avec la tristement célèbre question - Arendt est-elle nazi ? - en en tête du courrier des lecteurs.
Ce dans un pays où les Origines du totalitarisme ne sont toujours pas publiées.
En 1972 est enfin publié, seul, Le Système totalitaire, correspondant à la troisième partie des Origines du totalitarisme. La première, Sur l’antisémitisme, en 1973 chez un autre éditeur. Il faudra attendre 1982, sept ans après la mort d’Arendt, pour voir publiée la deuxième partie, pourtant centrale, L’impérialisme, chez un troisième éditeur.
Ce n’est qu’en 2002 que Les Origines du totalitarisme est publié en un seul volume, chez Quarto Gallimard, mais accompagné de Eichmann à Jérusalem et avec un important appareil critique.
Il n’existe toujours pas l’équivalent en français de l’édition américaine de 2006 avec ses quatre préfaces, dont la préface originale de 1950, ses notes, sa bibliographie et sans lourd appareil critique indiquant comment lire Hannah Arendt.
Ce livre ne peut être réduit, comme cela a été fait en France, à l'étude du totalitarisme. Si Arendt réunit nazisme et stalinisme sous ce terme, en précisant bien les similitudes, les différences et les périodes concernées, c'est l'impérialisme, « l’expansion pour l’expansion » qui est au centre de son livre.
Les deux premières parties (L’antisémitisme et L’impérialisme) sont consacrées à ce que, Blücher et Arendt, considèrent comme une attaque frontale contre le XIXe siècle. Ce siècle bourgeois qui, selon eux, a engendré les éléments que le totalitarisme a cristallisé en Allemagne : l’antisémitisme, l’impérialisme, le racisme. Arendt pense que l'antisémitisme moderne, dont l'aboutissement est Auschwitz, est né du déclin de l’État-nation et du développement de l'impérialisme, de « l’expansion pour l’expansion », plutôt que du vieil antijudaïsme chrétien. Elle estime, en somme, que les monstruosités du XXe siècle sont des «produits dérivés» de cette « expansion pour l’expansion », dont nous pouvons voir encore aujourd'hui, sous d’autres formes, le potentiel de barbarie.
Nous prendrons comme premier fil conducteur pour nous orienter dans la lecture de cette œuvre aussi fascinante que difficile les trois questions formulées par Arendt dans sa préface de 1967 à la troisième partie des Origines du totalitarisme : Que s'est-il passé ? Pourquoi cela s'est-il passé ? Comment cela a-t-il été possible ? »
Nous croiserons ce fil avec un second fourni par Elizabeth Young-Bruhel, étudiante et première biographe de Hannah Arendt : « Dans cette œuvre panoramique, la partie historique est intimement reliée aux autres par le biais d'une image centrale, le «superflu» ».
Nous disposerons ainsi d’un « tamis » permettant de traiter ce livre comme un tout et de trouver des « pépites » nous aidant à mieux comprendre notre présent à la lumière de notre passé et notre passé à la lumière de notre présent.
Vue d’ensemble
Dans sa préface, rédigée en 1967, Arendt, précise le sujet et les limites de l’histoire de l’antisémitisme qu’elle brosse dans le premier volume de son ouvrage.
Une analyse des éléments de l'histoire du XIXe siècle qui appartiennent aux « origines du totalitarisme :
- l’histoire juive limitée à l’ Europe centrale et occidentale, depuis l'époque des Juifs de cour jusqu'à l'Affaire Dreyfus..
- la naissance de l’antisémitisme en lien avec les rôles joués par les Juifs dans le développement de l'État-nation et dans la société.
«Les versions impérialiste et totalitaire de l'antisémitisme du XXe siècle sont analysées respectivement dans le deuxième et le troisième volume de cet ouvrage ». L’impossibilité de séparer et d’isoler ces trois volumes est ainsi confirmée.
Dans le premier chapitre, L’antisémitisme, insulte au sens commun[1], Arendt rejette les interprétations hâtives de l’antisémitisme (accident, nationalisme, haine religieuse,..) qui « semblent avoir été improvisées » pour donner à tout prix une réponse à une question qui « menace si gravement notre sens de la mesure et notre désir d’être sains d’esprits ». Déterminée à comprendre comment et pourquoi le problème juif, « apparemment limité et de peu d’importance » a pu « déclencher la machine infernale », elle présente sa démarche centrée sur l’analyse historique des relations entre les Juifs, d’une part, et l’État et la société, d’autre part.
Elle recherche alors, dans un deuxième chapitre, Les Juifs, L’État-nation et la naissance de l’antisémitisme[2], la source de l'hostilité entre la plupart des groupes sociaux et les Juifs dans les fonctions qu’ils ont occupé et dans leurs relations avec l'État en replaçant l’histoire de l'antisémitisme dans le cadre plus général du développement de l'État-nation.
Arendt recherche ensuite, dans un troisième chapitre, Les Juifs et la société[3], les raisons de l’hostilité entre les déclassés de toutes les couches sociales toujours plus nombreux, constituant ce qu’elle appelle la populace ou la foule, et les Juifs. Elle les trouve dans l'histoire des relations entre les Juifs et la société.
Enfin le quatrième chapitre traite, en détail de L’affaire Dreyfus[4], « sorte de répétition générale des événements de notre temps ».
Aperçu des principales thèses développées
C’est dans les premières pages de ce deuxième chapitre qu’Arendt développe de la façon la plus synthétique ce qui sera une de ses principales thèses.
Partant de l’égalité des droits accordés aux Juifs par tous les États-nations européens, après la Révolution française et au cours du XIXe siècle, elle retrace historiquement les « contradictions plus profondes, plus anciennes et plus funestes » que dissimule une « incohérence logique flagrante » : des « Juifs recevant leur citoyenneté de gouvernements qui au cours des siècles avaient fait de la nationalité un prérequis de la citoyenneté et de l’homogénéité de la population la caractéristique majeure du corps politique ».
Elle décrit[2] ainsi, en quatre phases, l’ascension et le déclin simultané de l’État-nation et des Juifs :
- Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les États-nations se développent lentement sous la tutelle des monarchies absolues. Partout, des Juifs s’élèvent à des positions parfois brillantes, toujours influentes. Ce sont les Juifs de cour[3], qui financent les transactions d’État et servent d’hommes d’affaires aux princes.
2. Après la Révolution française, la richesse combinée des couches les plus riches de la population juive d’Europe occidentale et centrale confiée aux banquiers juifs les plus en vue, permet de couvrir les besoins nouveaux et croissants des gouvernements. Les privilèges, jusque-là accordés aux Juifs de cour sont étendus à une couche plus étendue de Juifs riches installés dans les plus grands centres urbains et financiers. L’émancipation est ensuite accordée dans les États-nations et refusée uniquement dans les pays où les Juifs, du fait de leur grand nombre et de l’état arriéré de ces régions, ne sont pas capables de s’organiser en un groupe spécifique et séparé dont la fonction économique est de supporter financièrement leur gouvernement.
3. Cette relation intime entre les Juifs et le gouvernement national reposent sur l’indifférence de la bourgeoisie à la politique en général et aux finances de l’État en particulier. Cette période prend fin avec la montée de l’impérialisme à la fin du XIXe siècle. Les Juifs perdent leur monopole des transactions d’État au profit d’hommes d’affaires tournés vers l’expansion impérialiste. Ils perdent de l’importance en tant que groupe. Seuls quelques Juifs conservent leur influence comme conseillers financiers et intermédiaires à l’échelle européenne[4].
4. En tant que groupe, la communauté Juive occidentale se désintègre en même temps que l’État-nation durant les décennies précédant le déclenchement de la Première guerre mondiale. Après la guerre, dans « une Europe ayant perdu le sens de l’équilibre des pouvoirs et de la solidarité entre ses nations, » les Juifs « deviennent un objet de haine, en raison de leur richesse inutile », et « de mépris du fait de leur absence de pouvoir. »
La relation privilégiée des financiers juifs avec l’État placera les Juifs, dans leur ensemble, au centre de la « machine infernale » enclenchée par l’impérialisme.
La volteface de la bourgeoisie, se désintéressant d’abord totalement des affaires de l’État, puis, selon l’expression de Arendt « s’émancipant politiquement » au moment de la course à « l’expansion pour l’expansion » fera perdre aux banquiers Juifs leur rôle, premier, de financement de l’État-nation.
L’introduction, par l’impérialisme, entre les nations de « l’esprit de compétition du monde des affaires », fera perdre à ces mêmes banquiers leur second rôle, peut-être le plus important dans l’histoire de l’Europe. Celui de conseillers et d’intermédiaires dans une Europe où de Robespierre (1758-1794) à Clémenceau (1841-1929), et de Metternich (1773-1859) à Bismarck (1815-1898), Jacobins, d’un côté, et chefs de gouvernements autoritaires de l’autre, partagent un souci commun, celui de « l’équilibre des puissances ». Souci commun qui disparaîtra avec la Première guerre mondiale et avec le remplacement du désir de modifier l’équilibre des puissances par celui d’annihiler ses ennemis.
Deux perceptions amplifieront la « question juive », l’une chez les non-Juifs, l’autre chez les Juifs .
Du côté des non-Juifs le rôle d’intermédiaires et de conseillers joués par des financiers juifs, leur souci de contribuer à « l’équilibre des puissances européennes » sera perçu, surtout après sa disparition chez les dirigeant européens, comme un désir de conquérir le pouvoir politique. Désir pourtant bien absent chez des Juifs habitués, depuis des siècles, à être hors du champ politique et à qui Arendt, dans toute son œuvre et pendant toute sa vie, ne cessera de répéter que l’antisémitisme est d’origine politique et doit donc être combattu politiquement.
De leur côté, les Juifs, inconscients de la situation en Europe et de la tension croissance entre l’État et la société, seront les derniers à se rendre compte que les circonstances les ont placés au centre du conflit. Ils ne sauront jamais donner son vrai sens à l’antisémitisme en ne sentant pas le moment où la discrimination sociale se transformera en argument politique. Le processus sera simple. Chaque classe qui, à un moment ou un autre, entrera en conflit avec l’État en tant que tel deviendra antisémite parce que les Juifs apparaîtront comme le seul groupe social représentant l’État.
Malgré des formes différentes, propres à chaque groupe et chaque pays, l’antisémitisme répètera et reproduira, des arguments et des images semblables en rapport avec une réalité qu’ils déforment. En raison de leur étroite relation avec les sources du pouvoir étatique, les Juifs seront constamment identifiés au pouvoir. Parce qu’ils se tiennent à distance de la société, repliés sur le cercle familial clos, ils seront constamment soupçonnés de travailler à la destruction de toutes les structures sociales.
Dans la suite de ce deuxième chapitre Hannah Arendt décrit la naissance de l’antisémitisme. Je n’en retiendrai que quelques éléments en lien avec la thèse que je viens de présenter longuement.
- Ce qu’Arendt qualifie de « loi pourtant évidente ». L’hostilité envers les juifs ne prend un sens politique que lorsqu’elle se combine avec un problème politique majeur (Europe occidentale), ou bien en cas de conflit entre les intérêts des Juifs en tant que groupe et ceux d’une des classes importantes de la société (Roumanie et Pologne).
- La série de scandales financiers et d’affaires frauduleuses dont la cause principale sera une accumulation de capitaux disponibles, superflus , qui précèdera l’apparition simultanée de l’antisémitisme en tant que facteur politique important, en Allemagne, en Autriche et en France, dans les années 1870. En France, une majorité de parlementaires et un nombre incroyable de fonctionnaires se trouveront impliqués dans des affaires de corruption et d’escroquerie. La IIIe République y perdra tout son prestige. En Autriche et en Allemagne, c’est l’aristocratie qui sera la plus compromise. Dans ces trois pays, les Juifs joueront un simple rôle d’intermédiaires, aucune maison juive ne faisant fortune dans l’affaire de Panama[5] ou dans le Gründungsschwindel qui conduira au krach boursier de 1873. La petite bourgeoisie, menacée de disparition par l’expansion capitaliste, engloutira ses petites épargnes individuelles dans des investissements énormes promettant des profits fabuleux mais se soldant par des pertes incroyables. Elle deviendra alors brusquement antisémite.
- Deux caractéristiques, importantes pour la suite, relevés par Arendt, chez les partis antisémites dès leur création. Contrairement aux autres partis, représentant les intérêts de leurs électeurs, ils se proclament « au-dessus de tous les partis », et visent donc le monopole du pouvoir. Ils fondent immédiatement une organisation supranationale au niveau de l’Europe.
- Vers la fin du XIXe siècle, l’effet produit par les scandales financiers des années 1870 s’est estompé et une ère de prospérité et de bien-être général, en Allemagne, surtout, met fin aux agitations des années 1880. Après leurs premiers succès, les partis antisémites allemands retombent dans le néant.
- En France, l’Affaire Dreyfus est le point culminant d’un antisémitisme qui trouve sa source dans l’État-nation. Les formes violentes qu’elle revêt annonce les évènements à venir et constitue, pour Arendt, une « gigantesque répétition générale d’une représentation qui attendra trente ans ». Arendt y consacre le quatrième, et dernier, chapitre de ce volume à la lecture duquel je vous invite vivement.
[1] Sur l’antisémitisme, p. 33
[2] Sur l’antisémitisme, p. 38-40
[3] Trois exemples sur la diapositive : Samuel Oppenheimer (1630-1703), banquier de l'empereur Léopold Ier. Samson Wertheimer (1658-1724), financier autrichien et rabbin. Joseph Süss Oppenheimer (1689/90-1738), banquier du duc Alexandre du Wurtemberg, il a inspiré le roman Le Juif Süss (1925) de Léon Feuchtwanger.
[4]Sur la diapositive : Mayer Amschel Rothschild (1744 –1812) fondateur de la dynastie banquière des Rothschild.
[5] Sur la diapositive : Ferdinand Marie, vicomte de Lesseps (1805 – 1894), un diplomate et entrepreneur français connu pour avoir fait construire le canal de Suez et pour être à l'origine du scandale de Panama (en couleur). Jacques de Reinach (1840 – 1892), un banquier français d'origine allemande, juif, intermédiaire dans le scandale de Panama lors duquel il trouve la mort.
Reste un dernier élément auquel Arendt consacre le troisième chapitre.
« Comme la question juive, sous son aspect social, devint un catalyseur de l’agitation sociale, jusqu’à ce qu’une société désintégrée finisse par se rassembler à nouveau, idéologiquement, autour de l’idée d’un massacre des Juifs, il est nécessaire d’esquisser quelques-uns des traits essentiels de l’histoire sociale des Juifs émancipés dans la société bourgeoise »[2] du XIXe siècle.
Par trois entrées différentes, se complétant et se recoupant, Arendt décrit la vie en société des Juifs, ou plutôt des Juifs qui y sont admis.
Sous le titre, Entre le paria et le parvenu, elle décrit et illustre, ce qu’elle appelle, la « la loi curieuse concernant l’admission des Juifs dans la société ».
« Durant les cent cinquante années où les Juifs vécurent vraiment parmi les populations d’Europe occidentale, et non pas seulement dans leur voisinage, leur succès social fut toujours acquis au prix de la détresse politique, et leur succès politique, au prix d’un affront social. Ils n’obtinrent l’assimilation, prise dans le sens de l’admission dans la société non juive, qu’à titre d’exceptions individuelles explicites par rapport aux masses juives dont ils partageaient pourtant encore le statut restrictif et humiliant, ou plus tard, après l’émancipation et l’isolement social qui en résulta, quand leur statut politique était déjà menacé par les mouvements antisémites ».[3]
Une partie centrale, intitulée par Arendt, Le puissant magicien, est consacré au portrait d’un Juif d’exception, Benjamin Disraeli, (1804- 1881). Homme politique et auteur britannique, deux fois premier ministre du Royaume-Uni.
Enfin, dans la troisième et dernière partie, Entre crime et vice, Arendt décrit « les voies étranges par lesquelles les « Juifs d’exception » », pénétrèrent les salons du faubourg Saint Germain de la France fin de siècle (le XIXe). Le guide choisi par Arendt n’est autre que Marcel Proust.
« Le plus grand écrivain français du XXe siècle passa sa vie exclusivement en société ; tous les évènements lui apparurent tels qu’ils se reflètent dans cette société pour être ensuite repensés par l’individu ; ces reflets et ces nouvelles perceptions constituent la réalité spécifique, la texture du monde proustien. Tout au long de la Recherche du temps perdu, l’individu et sa réflexion appartiennent à la société, même s’il se retire dans une solitude silencieuse et impénétrable comme le fit Proust lui-même quand il décida d’écrire son œuvre ».[4]
Ces « voies étranges » sont celles qui voient la société transformer le crime en vice, voies si bien décrites par Proust. Le faubourg Saint Germain admettait les invertis parce qu’il se sentait attiré par ce qu’il considérait comme un vice. Il arriva aux Juifs une aventure analogue.
« En ce qui concerne les Juifs, la transformation du « crime » qu’était le judaïsme en un « vice » à la mode, la judéité, était des plus dangereuses. Des Juifs avaient pu échapper au judaïsme par la conversion ; mais on n’échappait pas à la judéité. À chaque crime son châtiment ; un vice ne peut qu’être exterminé. »
La propagande et la force d’attraction des organisations rassemblant tous les déclassés de la société capitaliste reposera alors sur l’hypothèse qu’une «société capable d’accepter, dans sa structure même, le crime sous la forme du vice « serait bientôt prête à se laver de son vice en accueillant ouvertement des criminels et en commettant publiquement des crimes », conclut Arendt.[5]
Vue d’ensemble
Revenons au trois questions posées par Hannah Arendt. « Que s'est-il passé ? Pourquoi cela s'est-il passé ? Comment cela a-t-il été possible ? ». La première partie, L’antisémitisme, fournit de nombreux éléments répondant à la deuxième question (Pourquoi… ?). La deuxième partie, L’impérialisme, va nous donner, elle, beaucoup d’éléments de réponse à la troisième question (Comment… ?) et nous permettre de commencer à comprendre comment l’antisémitisme a pu « se cristalliser avec d’autres éléments » dans la catastrophe, sans précédent, du totalitarisme. C’est dans cette deuxième partie, au centre même des Origines du totalitarisme, qu’est développée l’image du « superflu »[1] qui relie la partie historique au reste de l’ouvrage.
« Rares sont les périodes historiques comme l'ère impérialiste, dont on a pu dater avec autant de précision le début et dont les observateurs contemporains ont eu autant de chance d'attester la fin. »[2] écrit au début de la préface à ce volume Hannah Arendt. L'impérialisme, « né du colonialisme » et ayant « pour cause l'inadéquation du système de l'État-nation aux évolutions économiques et industrielles du dernier tiers du XIXe siècle » est né en 1884, et mort en 1947 avec la déclaration d’indépendance de l’Inde. Entre temps deux guerres mondiales, et deux totalitarismes.
Écrivant en 1967 une préface, sur laquelle nous reviendrons dans nos prochains cours, Arendt s’interroge, en conclusion, sur les applications possibles à son époque de l’analyse de l’impérialisme. « Insister sur le rapport malheureux entre cette période à demi oubliée et les événements contemporains ne signifie pas, bien entendu, que les dés sont jetés et que nous entrons dans une période de renouveau des politiques impérialistes, ni que l'impérialisme doit dans tous les cas déboucher sur les désastres du totalitarisme. Quelle que soit notre capacité à tirer des leçons du passé, elle ne nous permettra pas de connaître le futur. »
Dans la phase d’expansion pour l’expansion que nous connaissons aujourd’hui, à l’échelle de la planète, l’analyse et les interrogations d’Arendt restent pleinement d’actualité.
Hannah Arendt analyse cette ère impérialiste et en déroule l’histoire en 300 pages et 5 chapitres. Démarrant par un chapitre sur l’émancipation politique de la bourgeoisie[3], que nous avons vue, dans L’antisémitisme, se désintéressant totalement des affaires de l’État elle termine ce volume sur le déclin de l’État-nation[4], en écho avec le deuxième chapitre de L’antisémitisme. Au centre deux chapitres consacrées au racisme[5] [6] « principale arme idéologique des politiques impérialistes » et un chapitre sur l’impérialisme continental[7], nazisme et bolchévisme devant « plus au pangermanisme et au panslavisme (respectivement) qu’à toute autre idéologie ou mouvement politique ».
Aperçu des principales thèses développées
« Entre 1884 et 1914, trois décennies séparent le XIXe siècle qui s’acheva par la mêlée pour l’Afrique et par la naissance de mouvements annexionnistes comme le pangermanisme, et le XXe siècle, qui commença avec la Première Guerre mondiale. C’est le temps de l’impérialisme, accompagné d’un calme plat en Europe, et d’évolutions saisissantes en Afrique et en Asie. Il se dégage de certains aspects fondamentaux de cette période une telle similitude avec les phénomènes totalitaires du XXe siècle qu’on pourrait, non sans raison, y voir l’étape préparatoire des catastrophes à venir. D’un autre point de vue, son calme, la place encore tout à fait dans le XIXe siècle. Il est difficile de ne pas observer ce passé si proche de nous, et cependant étranger, avec le regard trop averti de ceux qui connaissent la fin de l’histoire et savent qu’elle devait aboutir à une rupture quasi-totale dans le flux ininterrompu de l’histoire occidentale telle que l’homme l’avait connue durant plus de deux millénaires. Mais nous devons avouer une certaine nostalgie de ce qu’on peut encore appeler un « âge d’or de la sécurité », d’un âge, en tout cas, où l’horreur elle-même demeurait dans les limites d’une certaine modération et sous le contrôle de la respectabilité, et pouvait de ce fait relever d’un monde apparemment sain d’esprit. En d’autres termes, ce passé a beau être très proche de nous, nous sommes parfaitement conscients que notre expérience des camps de concentration et des usines de mort est aussi éloignée de son atmosphère générale qu’elle l’est de toute autre période de l’histoire occidentale».[2]
Pour Arendt, l’évènement majeur de l’ère impérialiste sur le plan de la politique intérieure pour l’Europe est l’émancipation politique de la bourgeoisie, « seule classe dans l’histoire à avoir obtenu la domination économique sans briguer l’autorité politique ». La raison de ce revirement : l’incapacité de la structure de l’État-nation à permettre la poursuite de l’expansion de l’économie capitaliste. Dès lors la guerre pour le pouvoir est ouverte. Mais, ni l’État ni la bourgeoisie ne l’emportent nettement, les institutions nationales résistant bien à la mégalomanie des aspirations impérialistes et en partie aux tentatives de la bourgeoisie de se servir de l’État et de ses instruments de violence à ses propres fins économiques. Ce n’est que quand la bourgeoisie allemande décidera de tout miser sur le mouvement nazi et de gouverner avec la populace (les déclassés de toutes les classes) que les choses changeront, mais trop tard. La bourgeoisie réussira bien à détruire l’État mais la populace liquidera la bourgeoisie en même temps que toutes les autres classes et institutions.
Quand l’accumulation du capital eut atteint ses limites naturelles, nationales, la bourgeoisie comprit que ce serait seulement avec une idéologie selon laquelle « l’expansion, tout est là »[3] et seulement avec un processus d’accumulation du pouvoir correspondant que l’on pourrait remettre le vieux moteur en marche.
En moins de vingt ans, la Grande Bretagne, la France, l’Allemagne et la Belgique colonisent respectivement : 12 millions de km2 et 66 millions d’individus, 9 millions de km2 et 26 millions d’individus, 2,5 millions de km2 et 13 millions d’individus, 2,5 millions de km2 et 8,5 millions d’individus. Mais, écrit Arendt, beaucoup commencent à voir que la condition humaine et les limitations du globe opposent un sérieux obstacle à un processus qui ne peut cesser ni se stabiliser, « mais seulement déclencher les unes après les autres toute une série de catastrophes une fois ces limites atteintes ». Pour quelle raison le concert des nations européennes permet-il alors un tel fléau de se répandre ?
La réponse est simple. Tous les gouvernements sans exception savent alors parfaitement que leur pays est secrètement en train de se désintégrer et qu’ils vivent en sursis. La raison : la production capitaliste dans un système social fondé sur la distribution inégalitaire aboutit à l’accumulation et la concentration d’un capital superflu condamné à l’inertie à l’intérieur des capacités nationales de production et de consommation. Les crises et les dépressions des années 1860 et 1870 ont conforté les capitalistes dans l’idée que l’offre et la demande doivent provenir de l’extérieur de la société capitaliste ». Pour des pays où le capitalisme a pénétré la structure économique toute entière, cela revient à choisir « entre voir s’écrouler le système entier ou trouver de nouveaux marchés » en pénétrant de nouveaux pays non capitalistes. Le péché originel de pillage pur et simple qui, des siècles auparavant, avait permis « l’accumulation originelle du capital », analysée par Marx, doit se répéter si l’on ne veut pas voir soudain disparaître le moteur de l’accumulation. « Face à ce danger , qui ne menaçait pas uniquement la bourgeoisie, mais aussi la nation toute entière, d’une chute catastrophique de la production, les producteurs capitalistes comprirent que les formes et les lois de leur système de production « avaient depuis l’origine été calculés à l’échelle de la terre entière » ».
Nous atteignons aujourd‘hui cette échelle et il semble que comme l’avait prévu Cecil Rhodes la survie du système capitaliste nécessite l’annexion des étoiles !
Le scandale de Panama en France, le Gründungsschwindel en Allemagne et en Autriche éloignent les épargnants des investissements à l’étranger, à fort profit mais à hauts risques. Ils reviennent, appauvris et aigris, vers le processus normal de production. Les détenteurs de gros capital restent seuls, superflus par rapport à un corps national dont ils sont de toute manière des parasites. C’est par leur demande de protection par les gouvernements de leurs investissements à l’étranger qu’ils reprendront place dans la vie de la nation.
« À cet égard, ils suivaient la tradition bien établie de la société bourgeoise, consistant à ne voir dans les institutions politiques qu’un instrument destiné à protéger la propriété individuelle. Seule l’heureuse coïncidence de l’essor d’une nouvelle classe de propriétaire avec la révolution industrielle avait fait de la bourgeoisie le promoteur et le nerf de la production. Tant qu’elle remplissait cette fonction essentielle dans la société moderne, qui est surtout une communauté de producteurs, sa richesse jouait un rôle important pour la nation. »[4]
Les détenteurs du capital superflu sont la première fraction de la classe bourgeoise à vouloir des profits sans remplir de réelle fonction sociale.
L’expansion représente pour eux une double planche de salut. Pour leur capital bien sûr, mais pour eux-mêmes, surtout, en les protégeant de la perspective dangereuse de demeurer « à tout jamais superflus et parasites ».
« Plus ancienne que la richesse superflue, il y avait cet autre sous-produit de la production capitaliste : les déchets humains que chaque crise, succédant invariablement à chaque période de croissance industrielle, éliminait en permanence de la société productive. Les hommes devenus des oisifs permanents étaient aussi superflus par rapport à la communauté que les détenteurs de la richesse superflue. »[5] Tout au long du XIXe siècle l’émigration de ces hommes, considérés comme dangereux pour leur propre pays, contribuera à peupler les dominions du Canada et de l’Australie ainsi que les États-Unis.
La nouveauté de l’ère impérialiste est que ces deux forces superflues, argent et main-d’œuvre, capital et populace, « se sont données la main pour quitter ensemble le pays ». L’expansion, exportation du pouvoir gouvernemental et annexion de tout territoire où des nationaux ont investi argent ou travail, semble alors la seule alternative à la « superfluité » croissante d’argent et d’hommes et offrir un remède permanent à un mal permanent.
Cette alliance entre populace et capital est à l’origine de toute politique impérialiste. Elle révèlera une force qui a toujours existé dans la structure de base de la société bourgeoise, et à laquelle le philosophe Hobbes (1588-1679) a donné sa pensée politique, qui deviendra le préalable à toute doctrine raciale : l’exclusion par principe de la seule idée régulatrice en termes de droit international, l’idée d’humanité.
« S’il devait se révéler exact que nous sommes emprisonnés dans ce processus perpétuel d’accumulation du pouvoir conçu par Hobbes, alors l’organisation de la populace prendra inévitablement la forme d’une transformation des nations en races, car il n’existe, dans les conditions d’une société d’accumulation, aucun autre lien unificateur possible entre des individus, qui du fait même du processus d’accumulation du pouvoir et d’expansion, sont en train de perdre toutes les relations qui par nature les unissent à leurs semblables. »[6]
Les deux chapitres qui suivent traitent du racisme.
Dans le premier, Arendt retrace la naissance du racisme et sa transformation en principale arme idéologique des politiques impérialistes. C’est l’occasion d’un développement célèbre sur les idéologies, des « systèmes fondés sur une opinion unique se révélant assez forte pour attirer et convaincre une majorité de gens et suffisamment étendue pour les guider à travers les diverses expériences et situations d’une vie moderne moyenne. Car une idéologie diffère d’une simple opinion en ce qu’elle affirme détenir soit la clé de l’histoire, soit la solution à toutes les « énigmes de l’univers, soit encore la connaissance profonde des lois universelles cachées, censées gouverner l’homme et la nature. Peu d’idéologies ont su acquérir assez de prépondérance pour survivre à la lutte sans merci menée par la persuasion, et seules deux d’entre elles y sont effectivement parvenues en écrasant vraiment toutes les autres : l’idéologie qui interprète l’histoire comme une lutte économiques entre classes et celle qui l’interprète comme une lutte naturelle entre races. Toutes deux ont exercé sur les masses une séduction assez forte pour se gagner l’appui de l’État et pour s’imposer comme des doctrines nationales officielles. Mais, bien au-delà des frontières à l’intérieur desquelles la pensée raciale et la pensée de classe se sont érigées en modèles de pensée obligatoires, la libre opinion publique les a faites siennes à un point tel que les intellectuels mais aussi les masses n’accepteraient désormais plus une analyse des évènements passés ou présents en désaccord avec l’une ou l’autre de ces perspectives».[2]
C’est en France, au début du XVIIIe siècle, qu’Arendt retrouve « les germes de ce qui devait plus tard devenir la capacité du racisme à détruire les nations et à annihiler l’humanité. Soucieux de rendre à la noblesse une primauté sans conteste, le comte de Boulainvilliers (1658-1722)propose à ses semblables, les nobles, de nier avoir une origine commune avec le peuple français, de briser l’unité de la nation et de se réclamer d’une distinction originelle, donc éternelle. Bien avant le développement du racisme impérialiste il voit dans les habitants originels de la France des indigènes au sens moderne du terme, des sujets, non pas du roi, mais de tous ceux dont le privilège est de descendre d’un peuple de conquérants qui, par droit de naissance, doivent, seuls, être appelés « Français ». À la fin du XVIIIe siècle, lorsque la Révolution française contraindra une grande part de la noblesse française à chercher refuge en Allemagne et en Angleterre, ces idées se révéleront une précieuse arme politique. Arendt résume ce qu’elle qualifie « d’identification tribale » en une formule lapidaire : une « race » d’aristocrates contre une « nation » de citoyens.
La pensée raciale allemande est inventée, après la déroute de la vieille armée prussienne devant Napoléon, pour unir le peuple contre une domination étrangère, en éveillant chez lui la conscience d’une origine commune. L’unité de race comme substitut à l’émancipation nationale résume Arendt. Plutôt proche du nationalisme à ses débuts, elle s’en éloigne à partir de 1814 quand l’origine commune devient décrite en termes de liens du sang, d’attaches familiales, d’unité tribale. Cette insistance sur une origine tribale comme condition de l’identité nationale et l’accent mis par les romantiques allemands sur la personnalité innée et la noblesse naturelle ont, selon Arendt préparé le terrain à la pensée raciale en Allemagne. Une fois amalgamés, ces deux courants constitueront la base même du racisme en tant qu’idéologie à part entière.
Mais la France devancera l’Allemagne, non pas du fait d’intellectuels de la classe moyenne mais de celui d’un noble « aussi doué que frustré », le Comte de Gobineau (1816-1882) qui publie en 1853 son Essai sur l’inégalité des races dont la première phrase reste célèbre : « La chute de la civilisation est le phénomène le plus frappant et, en même temps, le plus obscur de l’histoire ». S’intéressant à la chute, et non à l’essor, des civilisations il en « découvre », ce qui le fera admirer par beaucoup d’écrivains et de biographes, la « raison », la nouvelle clef de l’histoire. « La chute des civilisations est due à une dégénérescence de la race, ce pourrissement étant causé par un sang mêlé. Cela implique que dans tout mélange la race inférieure est dominante ». Ce type d’argumentation ne deviendra un lieu commun qu’après le tournant impérialiste du siècle.
Les graines de la pensée raciale anglaise sont, elles, semées en réaction à la Révolution française. Révolution dont la dénonciation la plus violente sera celle d’Edmund Burke (1729-1797). Contre ses « principes abstraits » il affirmera : « la ligne constante de notre Constitution a toujours été de revendiquer nos libertés et de les faire respecter en tant qu’héritage inaliénable transmis par nos aïeux et que nous devons transmettre à la postérité ;en tant que bien qui appartient au peuple de ce royaume sans aucune référence à un autre droit plus général ni plus ancien ». Sans empiéter sur les droits de la classe privilégiée, Burke élargit le principe de ces privilèges au peuple anglais tout entier, en faisant de celui-ci une sorte de noblesse des nations. Les « droits des anglais » contre les droits des hommes synthétise Arendt.
Cette pensée raciale, indique Arendt, « selon toute vraisemblance, aurait disparu le moment venu », comme d’autres opinons irresponsables du XIXe siècle » sans « le choc des nouvelles expériences » imposées à l’humanité occidentale par l’ère impérialiste. Le racisme des impérialistes trouva en elle une aide, une forme des respectabilité et la caution apparente de la tradition pour masquer son incompatibilité fondamentale avec les valeurs politiques et morales occidentales héritées du passé. Incompatibilité qui détruira le concert des nations européennes.
Dans ce second chapitre consacré au racisme, Arendt traite des « deux moyens visant à imposer organisation et autorité politique aux populations étrangères » découverts au cours des premières décennies de l’impérialisme : Race et Bureaucratie. [2]
La race est « découverte », comme moyen de domination politique, en Afrique du Sud, comme réaction semi-consciente face à des peuples dont l’humanité fait honte et peur à l’homme européen. « Réponse des Boers à l’accablante monstruosité de l’Afrique et explication de la folie qui les saisit et les illumina comme « l’éclair dans un ciel serein : Exterminer toutes les brutes » »[3]. Réponse qui conduit aux massacres ,alors, les plus terribles de l’histoire : extermination des tribus hottentotes par les Boers, décimation de la paisible population du Congo, 20 à 40 millions d’individus, réduite à 8 millions. Et surtout à l’introduction triomphante de semblables procédés de pacification dans les politiques étrangères. Arendt cite Guillaume II s’adressant au corps expéditionnaire allemand chargé d’écraser l’insurrection des Boxers en 1900 : « Tout comme les Huns, il y a mille ans, se firent, sous la conduite d’Attila, une réputation qui leur vaut encore de vivre dans l’histoire, puisse le nom d’Allemand se faire connaître en Chine de telle manière que plus jamais un Chinois n’osera poser les yeux sur un Allemand ».
La bureaucratie est, elle, découverte en Algérie, Égypte et en Inde. Elle devient l’organisation du grand jeu de l’expansion où chaque région est considérée comme un tremplin pour de nouveaux engagements, chaque peuple un instrument pour de nouveaux investissements, de nouvelles conquêtes. L’administrateur gouverne à l’aide de rapports et par décrets, dans un secret plus hostile que celui de n’importe quel despote oriental.
C’est l’histoire de cette double domination qu’Arendt retrace et analyse en quatre parties, le monde fantôme du continent noir, l’or et la race, l’impérialiste. Elle retrouve son image du « superflu » avec la course vers l’or sud-africain et la ruée des « hommes superflus » vers le Cap, en ayant assez « d’être comptés au nombre des parias et voulant faire partie d’une race de maîtres ». Elle termine par le portrait de trois impérialistes britanniques, prenant ses distances avec la légende de l’impérialisme écrite par Kipling. Deux administrateurs : Lord Cromer (1841-1917), en Inde puis en Égypte et Cecil Rhodes (1853-1902) en Afrique du Sud et Lawrence d’Arabie (1888-1935), « l’homme le plus valeureux passé du personnage d’aventurier à celui d’agent secret ».
« Lorsque la populace européenne découvrit quelle « merveilleuse vertu » une peau blanche pouvait être en Afrique, lorsqu’en Inde le conquérant anglais devint un administrateur qui désormais ne croyait plus à la validité universelle de la loi mais était convaincu de sa propre aptitude innée à gouverner et à dominer ; (…) quand les services secrets britanniques (surtout après la Première guerre mondiale) commencèrent à attirer les meilleurs fils d’Angleterre qui préféraient servir de mystérieuses forces à travers le monde plutôt que le bien public de leur pays, la scène sembla prête à accueillir toutes les horreurs possibles. Là, à la barbe de tous, se trouvaient maints éléments qui, une fois réunis, seraient capables de créer un gouvernement totalitaire fondé sur le racisme. Des « massacres administratifs » étaient proposés par des bureaucrates aux Indes, tandis que les fonctionnaires en Afrique déclaraient « qu’aucune considération éthique telle que les droits de l’homme ne sera autorisée à barrer la route » à la domination blanche ». [4]
Nazisme et bolchévisme doivent plus, respectivement, au pangermanisme et au panslavisme qu’à toute autre idéologie ou mouvement politique. « Ni Hitler ni Staline n’ont jamais reconnu leur dette envers l’impérialisme dans le développement de leurs méthodes de domination, mais ni l’un ni l’autre n’ont hésité à admettre ce qu’ils devaient à l’idéologie des mouvements annexionnistes ou à imiter leurs slogans».
Ces mouvements, nés avant l’impérialisme, ne percent que dans les années 1880 avec la triomphale expansion impérialiste des nations occidentales. Les nations d’Europe centrale et orientale, sans colonies et espoirs d’expansion outre-mer, décident qu’elles ont le même droit que les autres peuples à l’expansion et qu’à défaut d’autres possibilités de s’étendre, elles le feront en Europe.
L’expansion sur le continent ne tolère, contrairement à celle outre-mer, aucune distance entre les méthodes et les institutions de la colonie et de la nation. Si l’impérialisme continental partage avec l’impérialisme colonial un même mépris pour l’étroitesse de l’État-nation, il lui oppose plus une « conscience tribale élargie », supposée unir tous les peuples partageant des traditions de même origine indépendamment de leur histoire et de leur localisation, que des arguments économiques. Il a donc d’emblée une plus grande affinité avec la pensée raciale et peut développer des concepts de race à base totalement idéologiques bien plus rapidement et efficacement. Il le fera dans le cadre de ce qu’Arendt appelle le nationalisme tribal, nationalisme des peuples qui n’ont pas atteint la souveraineté de l’État-nation. Conjugué à la frustration de n’avoir pu prendre part à la soudaine expansion des années 1880, à la présence de minorités opprimées comme les Slaves en Autriche et les Polonais en Russie il débouchera sur un antisémitisme violent, les Juifs apparaissant comme les agents non seulement d’un appareil d’État oppressif, mais aussi d’un oppresseur étranger. Antisémitisme qui deviendra le pivot de toute une conception de la vie et du monde indépendamment des faits et circonstances politiques.
En plus d’une analyse passionnante des rapports entre l’État et la nation sur laquelle je reviendrai dans le dernier cours de ce séminaire, deux éléments sont encore à relever dans ce chapitre. Arendt les développe sous les en-têtes, L’héritage du mépris de la Loi, Parti et mouvement.
Le mépris déclaré de la Loi et la justification idéologique de son absence s’afficheront beaucoup plus largement dans l’impérialisme continental que dans l’impérialisme colonial, pour deux raisons. L’absence d’éloignement géographique séparant illégalité de la domination dans des pays étrangers et légalité dans le pays natal. L’absence de tradition constitutionnelle conduisant à une conception autoritaire et arbitraire du pouvoir. Le gouvernement par la bureaucratie, par décrets deviendra la règle en Autriche et en Russie, sur le modèle même des administrateurs impérialistes dans les colonies. La bureaucratie autrichienne amènera le plus grand de ses écrivains modernes, Franz Kafka , à se faire l’humoriste et le critique de sa structure. Le courant totalitaire moderne ira encore plus loin que ces premières bureaucraties en faisant intrusion dans la vie privée et intérieure de l’individu, en annihilant toute spontanéité faisant succéder à la stérilité politique une stérilité complète.
Quant à la différence entre Parti et Mouvement, Arendt la développera pleinement dans son troisième volume sur le totalitarisme. J’y reviendrai donc à ce moment.
[1] L’impérialisme, p. 179
Dernier chapitre, et pas le moindre, de ce remarquable volume sur l’impérialisme, non traduit pendant plus de 30 ans en France. Chapitre qui semble faire écho au deuxième chapitre du volume sur l’antisémitisme. Sa portée est encore plus large. Arendt décrit, d’abord, de façon saisissante la « réaction en chaîne » qui s’est déclenchée avec la Première Guerre mondiale et « dans laquelle nous sommes pris depuis lors et que personne ne parait pouvoir arrêter ».
Elle focalise son analyse sur l’émergence de « deux groupes dont les souffrances en cette période d’entre-deux guerres, étaient différentes de celles de tous les autres ; bien pires que celles des classes moyennes dépossédées, des chômeurs, des petits rentiers, des pensionnés que les évènements avaient privés de statut social, de la possibilité de travailler et du droit de posséder ; ils avaient perdu ces droits qui avaient été conçus et même définis comme inaliénables : les Droits de l’homme ». Les apatrides et les minorités.
Avec l’apparition des minorités en Europe orientale et méridionale et l’arrivée de populations apatrides en Europe centrale et occidentale, un élément de désintégration tout à fait nouveau est introduit dans l’Europe d’après la Première Guerre mondiale. Le retrait de la nationalité (la dénationalisation) devient une arme puissante entre les mains de la politique totalitaire et l’incapacité constitutionnelle des États-nations à garantir des droits humains à ceux qui ont perdu les droits garantis par leur nationalité permet aux gouvernements d’imposer leurs modèles de valeurs, même à leurs adversaires. Ce qu’explicite le journal des SS dès 1938. Si le monde n’est pas convaincu que les Juifs sont la lie de la terre, il va bientôt l’être, quand des mendiants impossibles à identifier, sans nationalité et sans passeport, passeront leurs frontières. Les mots mêmes de « droits de l’homme » devinrent aux yeux de tous, victimes, persécuteurs et observateurs le signe manifeste d’ idéalisme sans espoir ou d’ hypocrisie hasardeuse.
Arendt utilise dans la suite de ce chapitre la longue note sur les traités qui ont régi le sort des minorités à la fin de la Première Guerre mondiale rédigée en 1938, à Montauban, envoyée à Eric Cohn-Bendit.[2] Pour Arendt ces traités disent textuellement ce qui jusque-là était resté implicite. Dans les États-nations seuls les nationaux peuvent être des citoyens et bénéficier de l’entière protection des institutions légales. À moins qu’ils ne soient complètement assimilés et coupés de leur origine nationale, les personnes de nationalité différente relèvent d’une loi d’exception et doivent être placés sous la protection d’un organisme extérieur, la Société des nations. La transformation de l’État d’instrument de la Loi en un instrument de la nation s’est accomplie. La nation a conquis l’État, l’intérêt national l’a emporté sur la Loi bien avant que Hitler puisse proclamer : « Le droit est ce qui est bon pour le peuple allemand ».
Mais plus encore que la question des minorités, réglée en partie depuis l’époque où Arendt écrivait Les origines du totalitarisme par la multiplication des États membres de l’ONU (193 aujourd’hui), c’est celle des apatrides qui se révèlera autrement difficile et lourde de conséquences. Ne serait-ce que parce que le règlement partiel de la première question accroîtra l’ampleur de la seconde.
Chaque évènement politique depuis la Première Guerre mondiale ajoutera une nouvelle catégorie à ceux qui doivent vivre hors du giron la Loi. Le plus ancien des peuples apatrides est celui des Heimatlosen (sans-abri) créé par les traités de paix de 1919, la dissolution de l’Autriche-Hongrie, la mise en place des États baltes. L’apatride deviendra l’objet d’une attention et d’une considération tardives lors qu’il sera rejoint dans son statut juridique par les réfugiés chassés de leur pays par les révolutions et les guerres civiles et dénationalisés par leur gouvernement. Par ordre chronologique, des millions de Russe, des centaines de milliers d’Arméniens, des centaines de milliers d’allemands et plus d’un demi-million d’Espagnols.
La dénationalisation massive, entièrement nouvelle à cette époque, suppose une structure d’État qui, si elle n’est pas encore tout à fait totalitaire, n’est en tout cas pas prête à tolérer la moindre opposition et qui préfère perdre ses citoyens plutôt de donner asile à des individus aux vues divergentes. C’est la première conséquence de ce qu’Arendt appelle le déclin de l’État-nation. Le remplacement de l’appellation officielle d’apatrides par celle de « personnes déplacées », effaçant le fait que ces personnes ont perdu la protection de leur gouvernement et que seuls des accords internationaux peuvent sauvegarder leur statut juridique, en est une autre, symboliquement très forte. Tout comme la disparition ou l’affaiblissement considérable du droit d’asile et l’échec des deux seules solutions rapides : le rapatriement ou la naturalisation. Le seul substitut concret à une patrie inexistante est devenu le camp d’internement, seul « pays » que dès les années 1930 et, encore de nos jours, le monde ait à offrir aux apatrides.
Les Juifs ont joué un rôle essentiel dans l’histoire de la « nation des minorités » ainsi que dans la formation d’un « peuple apatride ». Après la Seconde Guerre mondiale et le génocide des Juifs en Europe, la question juive sera résolue au moyen d’un territoire colonisée puis conquis. Mais au prix de la création d’une nouvelle catégorie de réfugiés, les Arabes, les Palestiniens dirait-on aujourd’hui, accroissant, à l’époque de 700 à 800 000 le nombre des apatrides et des sans-droits. Phénomène qui se reproduira en Inde, à grande échelle, pour des millions de gens et, depuis, chaque fois que de nouveaux États sont créés.
La maladie d’un État-nation, qui ne saurait exister sans l’égalité devant la Loi, principe juridique prévu à l’origine pour remplacer l’ancien ordre féodal, est, pour Arendt, incurable. Plus son incompétence est manifeste à traiter les apatrides, les « sans-papiers », comme on dit aujourd’hui, plus grande y est l’extension de l’arbitraire exercé, à leur encontre, par les décrets et l’action de la police, plus grande est la tentation de priver tous les citoyens de statut juridique et de les gouverner au moyen d’une police omnipotente.
Arendt termine cette deuxième partie des Origines du totalitarisme par une longue analyse des embarras suscités par les droits de l’homme dont l’actualité reste entière et sa conclusion, comme souvent chez elle, saisissante.
La première perte subie par les apatrides est celle de leur patrie, dans laquelle ils étaient nés et par laquelle ils s’étaient ménagé une place distincte dans le monde. Cette perte n’est pas sans précédent, ce qui l’est c’est l’impossibilité d’en trouver une autre. La seconde perte est celle de la protection d’un gouvernement. Là aussi ce n’est pas sans précédent, ce qui l’est c’est l’impossibilité du droit d’asile à y répondre, du fait du nombre, du caractère non exceptionnel et des raisons de cette apatridie.
Ce que réalise, et nous fait réaliser Arendt, c’est que ce que perdent ces sans-droits de notre monde moderne, ce n’est pas le droit à la liberté mais le droit d’agir. Ce n’est pas le droit de penser mais le droit d’avoir une opinion.
« Nous n’avons pris conscience de l’existence d’un droit d’avoir des droits (ce qui signifie : vivre dans une structure où l’on est jugé en fonction de ses actes et de ses opinions) du droit d’appartenir à une certaine catégorie de communauté organisée que lorsque des millions de gens ont subitement perdu ces droits sans espoir de retour par la suite de la nouvelle situation politique globale ».[3] Le drame, ajoute Arendt, c’est que cette catastrophe n’est pas née d’un manque de civilisation mais parce que bon gré mal gré nous avons vraiment commencé à vivre dans un monde Un. Seule une humanité complètement organisée peut faire que la perte de la patrie et de statut politique revienne à être expulsé de l’humanité entière.
Ces faits et réflexions, nous dit Arendt, apportent une confirmation ironique, amère et tardive aux fameux arguments qu’Edmund Burke opposait à la Déclaration française des droits de l’homme dont il critiquait « l’abstraction ». Non seulement la perte des droits nationaux entraine dans tous les cas celle des droits de l’homme, mais seule la restauration ou l’établissement de droits nationaux permet leur rétablissement. Au moment même où Arendt écrit son livre la création de l’État d’Israël le démontre, de façon opposée, pour les Juifs et les Arabes de Palestine. Les individus chassés de toute communauté politique, quel que soit leur sort, leur degré de liberté ou d’oppression, ont perdu tout rôle dans le monde fait de nos efforts communs. Ils apparaissent comme les premiers signes d’une possible régression par rapport à la civilisation.
« Le danger mortel pour la civilisation n’est plus désormais un danger qui viendrait de l’extérieur. La nature a été maîtrisée et il n’est plus de barbares pour tenter de détruire ce qu’ils ne peuvent comprendre, comme les Mongols menacèrent l’Europe pendant des siècles. Même l’apparition des gouvernements totalitaires est un phénomène situé à l’intérieur, et non à l’extérieur, de notre civilisation. Le danger est qu’une civilisation globale, coordonnée à l’échelle universelle, se mette un jour à produire des barbares nés de son propre sein, à force d’avoir imposé à des millions de gens des conditions de vie qui en dépit des apparences, sont les conditions de vie de sauvages[4] ».
Vue d’ensemble
Troisième partie de son monumental ouvrage, Le totalitarisme est la partie rédigée en dernier par Arendt et remaniée plusieurs fois jusqu’à sa version finale de 1966. C’est, paradoxalement, (paradoxe qui en dit beaucoup sur les rigidités idéologiques du milieu intellectuel français) cette partie qui fut publiée la première en France en 1972, dans un volume isolé et sous le titre curieux , Le système totalitaire ( !). Un an avant L’antisémitisme, dix ans avant L’impérialisme. Trois éditeurs différents[1] s’étant chargés de ces publications, aucun travail de présentation d’ensemble des Origines du totalitarisme et du lien entre ces trois parties ne sera disponible en France jusqu’en 2002 ( !!). L’acheteur des trois volumes de poche disponibles chez Point/Seuil doit lire la quatrième de couverture pour connaître l’ordre de lecture ( !!!). Seul avantage de ce travail ubuesque et scandaleux des éditeurs français, Le totalitarisme dispose dans sa traduction française d’une préface remaniée en 1971 par rapport à la version anglaise de 1966. J’utiliserai d’ailleurs cette préface dans le prochain cours.
Revenons au trois questions posées par Hannah Arendt. « Que s'est-il passé ? Pourquoi cela s'est-il passé ? Comment cela a-t-il été possible ? ». La première partie, L’antisémitisme, fournit de nombreux éléments répondant à la deuxième question (Pourquoi… ?) et la deuxième partie, L’impérialisme, beaucoup d’éléments de réponse à la troisième question (Comment… ?). Le totalitarisme répond surtout à la première question (Que s’est-il… ?).
À noter la citation de David Rousset en exergue de ce volume.
[1] Respectivement, Le Seuil, Calmann-Levy, Fayard