Apartheid ! Apartheid ! Est-ce que la France a une gueule d'Apartheid ?

Publié le par Thierry Ternisien d'Ouville

Texte envoyé par une participante au cours de l'Université du temps libre qu'elle m'a autorisé à publier sur ce blog.

J’ai voulu répondre à cette question, d’une part, dans une mise en perspective historique, politique, économique et sociologique, d’autre part, en rapprochant les événements récents de l’œuvre d’Hannah Arendt.

 

Apartheid : Nom Afrikaans (nom de la population néerlandophone d’Afrique australe). De Apart (viendrait du français à part, ou de l’anglais apart) et heid (suffixe pour créer un substantif). En tout cas, c’est très simple et très clair même si l’on n’est pas linguiste ! L’Apartheid est une « mise à part » institutionnalisée, la ségrégation des populations de races différentes en Afrique du Sud.

La relégation des populations noires qui existait de fait est finalement institutionnalisée après la deuxième guerre mondiale. L’Occident est confronté alors à une première vague d’émancipation dans les anciens empires.

L’Apartheid naît de la peur. Voir le chapitre qu’H. Arendt consacre à cette région de l’Empire britannique dans la partie de son formidable ouvrage « Les origines du totalitarisme » consacrée à l’impérialisme et sa référence au roman de J. Conrad « Au cœur des ténèbres ».

 

Dans le vocabulaire de 3*mots des hommes politiques (*voir Régis Debray), on est allé chercher (Oh, pas très loin, il affleure) le mot « Apartheid » !  « Ségrégation » est un mot « moisi » d’un autre âge où certains avaient encore « Un Rêve ».

 

« Apartheid » parle à tous (il ne dit pas forcément les mêmes choses). Il est encore tout chaud de la resucée qu’en a faite la terre entière lors des funérailles de Mandela.

 

Depuis quelques décennies déjà, on a pu utiliser le mot « Apartheid » pour désigner certaines formes de discriminations extrêmes. Cependant, il semble soudain interdit de le prononcer hors du contexte historique sud-africain et surtout pas pour décrire la situation actuelle sociologique de la France et en particulier de ses métropoles.

Après les sombres événements de janvier, on veut nous faire croire que l’on cherche à comprendre comment on en est arrivé là ou pour le dire comme H. Arendt « Comment cela a-t-il été possible ? ». Mais on nous somme d’y réfléchir et d’y répondre sans les mots les plus à même de décrire l’état des lieux. (Curieux comme moins on a de vocabulaire pour penser, plus on décortique les mots qui restent !).

 

Oui, il y Apartheid de fait en France.

 

Les Hommes Superflus (« L’Impérialisme », 2e partie des « Origines du Totalitarisme »)

 

Le capitalisme industriel et guerrier du XIXe siècle a produit des hommes superflus d’abord déversés dans les territoires des nouveaux Empires où ils ont côtoyé les populations indigènes reléguées au bas d’une échelle raciale et sociale qui ressemble fort à celle de l’Afrique du Sud de l’Apartheid.

 

Puis ce fut pour les uns le retour (rapatriés, réfugiés), pour les autres une arrivée (immigrés).

 

Nouvelles générations d’hommes superflus pour lesquels on a construit des hébergements en marge. Le trop plein de ces hommes à un moment d’une histoire que l’on voulait occultée a produit ce qu’il faut bien appeler des ghettos.

La relégation est entérinée par l’abandon de l’école, l’abandon économique qui crée des Zones franches bien répertoriées. Des zones vers lesquelles on irait comme aux colonies avec des incitatifs tant il y est difficile d’y vivre. Le plus terrifiant est qu’à la difficulté économique, à l’habitat délabré, s’ajoutent même, comme lors des premiers peuplements de colons dans l’Empire, des problèmes sanitaires. Zones de non droit où l’on a sciemment laissé proliférer les mafias (pègre, religions intégristes chrétiennes ou autres) qui tiennent les populations.

Dès la fin des années soixante, on voyait arriver des congrégations évangélistes américaines dans les premières grandes cités HLM de la région parisienne, cyniquement appelées « Grands Ensembles ».

 

Tant que l’on ne nommera pas les choses on ne pourra pas apporter de solutions. Mais….A-t-on vraiment envie de répondre efficacement à la terrible déshérence d’une partie de plus en plus grande de la population. Et pose-t-on d’abord la question arendtienne « Pourquoi ? ».

 

Je n’ai pas choisi par hasard de parodier la célèbre réplique du film de Marcel Carné « Hôtel du Nord »**. La réplique originale « Atmosphère ! Atmosphère ! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? » est dite par l’actrice Arletty à Louis Jouvet avec un merveilleux accent parisien, forcément populaire. L’accent ici n’est pas juste anecdotique. Le film se déroule avant la boboïsation du quartier du Canal St Martin dans le 10e arrondissement de Paris. Un quartier dit populaire où la concentration d’artisans et de petits commerçants était encore importante.

A la marge du centre parisien, c’était un quartier où s’entassait une population ouvrière dans des habitations délabrées et de petits hôtels où vivotaient souvent des déclassés, des réfugiés ou des recueillis (à défaut d’être accueillis) comme l’orphelin espagnol, adopté par les patrons de l’hôtel, qui a fui la guerre civile. La terrifiante histoire du XXe siècle est là en filigrane.

Un Paris excentré, post haussmannien, peuplé d’hommes superflus encore tolérés par la bourgeoisie.

 

Populaire, concentration, marge, entassait, délabrées, déclassés, recueillis, excentré… Nuage de mots pour le moins intéressant.

 

Posons-nous la question de ce qui a prévalu à la création du Paris Haussmannien, encore le « Pourquoi ? » : la relégation des populations ouvrières de plus en plus nombreuses au-delà d’un centre bourgeois monstrueusement élargi par la spéculation financière. L’appât du gain et la peur de cette humanité misérable. Ça a comme un écho dans notre présent.

 

Comme toujours, ce sont la littérature et son prolongement, le cinéma, qui nous parlent du réel.

Dans « Hôtel du Nord », on rencontre un couple d’amoureux qui a « choisi » de se suicider dans cet hôtel parce que la société ne veut pas d’eux économiquement.

Le personnage joué par Louis Jouvet, un voyou vieillissant et fatigué, tombe amoureux de la jeune femme « suicidée » puis sauvée et traîne sa mélancolie. Sa compagne, Arletty, ignorant la raison de ses états d’âme, lui propose des « solutions ». Entre autres, de partir pour les colonies (on est en 1938). Le déversoir des hommes superflus est encore là en toile de fond. Lorsqu’il lui dit qu’il veut changer d’atmosphère et que c’est elle son atmosphère, elle est confrontée à un mot qu’elle ne veut pas comprendre.

 

Dans « Hôtel du Nord », il y a ceux qui sont déjà là, qui vivent sans exister (voir la réplique de Louis Jouvet dans Hôtel du Nord : « J’ai une vie, mais pas d’existence »). Hommes superflus d’hier qui seront bientôt déversés dans les horreurs de la Seconde Guerre Mondiale.

 

 

Le Concept de Natalité (« Condition de l’Homme Moderne »)

 

Et puis, après les grands tourments, il y a eu ceux qui arrivaient dans ce Monde et que l’on ne voulait pas juste voir « jetés sur terre ».

 

Un Monde (occidental) au sens arendtien, dans lequel, enfin, les nouveaux-nés avaient une chance d'atteindre en nombre l'âge adulte (baby-boom), grâce aux progrès de l'hygiène et de la médecine et sans massacres de masse à l'horizon version 3e guerre mondiale.

 

Le nouveau capitalisme consumériste né avec le XXe siècle a créé de multiples « Apartheid ».

Pour vendre mieux et plus on a catégorisé à outrance. On a institutionnalisé les différences à la mode anglo-saxonne. On a créé des groupes, des sous-groupes, des sous-sous-groupes pour le plus grand bonheur des publicitaires. Le marketing a inventé, entre autres, la ségrégation « Jeunes-Vieux » lourde de conséquences.

 

Ces baby-boomers que le consumérisme a d'abord vus comme une catégorie marketing, ont fait des enfants, ils ont des petits-enfants qui ne trouveront pas tous leur place dans ce Monde.

 

Les questions ou les constats effarés et lucides, amènent d’autres questions, mais surtout, celle-ci : Comment se battre pour eux ?

Un terme guerrier, mais si guerre il y a, c’est là son champ de bataille.

 

Encore une fois, l’Art vient au secours de la pensée. Le Cercil/Orléans présente une très belle exposition de l'artiste-peintre allemande Michaela Classen sur les enfants d'Auschwitz. En particulier, le tableau représentant deux enfants en position assise sur le vide.

L'artiste fait référence au jeu des chaises musicales où ceux qui n'auront pas trouvé de place sur un bateau pour fuir seront éliminés. J'ai immédiatement pensé à ces jeunes générations assises sur le vide de connaissance, d’instruction, de travail, de références, de repères éducatifs et culturels, etc. (Voir photo).

 

 

** Le film de Marcel Carné « Hôtel du Nord » (1938) est adapté du roman « L’Hôtel du Nord » (1929) d’Eugène Dabit.

M.M.

Apartheid ! Apartheid ! Est-ce que la France a une gueule d'Apartheid ?

Publié dans Cours, Arendt, Maryse

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