Bureaucratie et technoscience : démesure et impuissance de la modernité (25 mars 2020)
Arendt ne cesse de rappeler que l’humanité des humains tient à ceci qu’ils construisent un monde au lieu de la Terre et de la vie, monde humain parce qu’artificiel. L’artifice est le signe de l’humain.
La modernité, n’est donc pas l’artificialisation de l’exister, qui n’est rien d’autre que le mouvement même de la condition humaine. Elle est la démesure de cette artificialisation.
Démesure liée à la conjonction du schème de la fabrication (mesurée par sa fin et son œuvre) à celui du travail (qui le reprend dans le cycle vital, cycle consommatoire infini), ou à celui de l’action (qui infinitise le procès, et laisse l’œuvre échapper aux mains de l’agent) : démesure et impuissance vont de pair.
De même que la bureaucratie est le régime anonyme et tout-puissant, régnant sur la démocratie de masse qui a renoncé à l’espace public de l’action et donc à la liberté, à la pluralité, à la singularité, de même la technoscience moderne définit un régime anonyme et tout-puissant qui règne sur une humanité aliénée, dépossédée de ses conditions d’humanité, immonde et sans Terre.
Au cœur de la modernité, le mouvement de l’aliénation fait donc surgir la question de l’acosmisme, par rapport au monde et par rapport à la Terre.
Or, cet acosmisme est aussi ce qui fut systématisé par le régime totalitaire. Par-là s’indique que le système totalitaire, loin d’être un accident de l’époque moderne, en est au contraire l’expression assez exacte.
Articuler la modernité à l’expérience totalitaire ne se fait pas sans difficultés. Il faut pourtant tenter de reconnaître dans l’analyse de la domination totalitaire les traits qui seront ceux de l’époque si l’on veut, ensuite, comprendre comment la question du monde est en jeu dans toute élucidation de la condition humaine, et comment la question de la technoscience ne prend elle-même sens que depuis son inscription politique.