L’état général d’un monde qui a, paradoxalement, fait de l’absence de souci du monde (acosmisme) sa condition ! (23 mars 2020)

Publié le par Thierry Ternisien d'Ouville

L’état général d’un monde qui a, paradoxalement, fait de l’absence de souci du monde (acosmisme) sa condition ! (23 mars 2020)

L’époque moderne se laisse saisir par des évènements qui, sans lui appartenir, en constituent le « seuil ». La découverte de l’Amérique et l’exploration du globe tout entier. La Réforme avec l’expropriation des biens ecclésiastiques et le commencement du double processus de l’expropriation individuelle et de l’accumulation de la richesse sociale. L’invention du télescope et la conquête du point d’Archimède pour formuler les lois de l’Univers. L’époque moderne se définit comme celle qui cristallise un certain nombre d’éléments repérables dans ces trois évènements.

De la même manière, « notre » monde, né, lui, avec la bombe atomique, s’annonce pourtant dans les trois évènements qu’évoque le prologue de Condition de l’homme moderne, trois évènements qui ne constituent pas le monde moderne mais indiquent les éléments problématiques qui en rendent l’avènement difficile sinon aléatoire :

  • Le lancement de satellites autour de la Terre qui fut vécu comme « le premier pas d’une évasion hors de la prison terrestre », signe d’une récusation de la condition terrestre consécutive à l’altération de la condition d’appartenance-au-monde.
  • Le développement d’une logique discursive de la science et de la théorie presque entièrement coupée de l’ordre de l’expérience commune et de « l’expression normale dans le langage et la pensée », véritable expression d’une crise politique des sciences dès lors que, se mouvant « dans un monde où le langage a perdu son pouvoir », les sciences s’aliènent le monde dont elles sont censées être l’expression.
  • L’avènement, enfin, de l’automatisation qui pourrait libérer « l’humanité de son fardeau le plus ancien et le plus naturel, le fardeau du travail, l’asservissement à la nécessité » extrayant l’homme du cycle vital qui le retient prisonnier.

La fuite de la Terre, qui s’accompagne aussi bien de la tentative de rendre la vie elle-même artificielle, qui se manifeste dans le désir et « dans les essais de création en éprouvette » ou dans les tentatives de reculer le moment de la mort, révèle le fantasme d’une humanité « délivrée » de ses conditions humaines d’appartenance au monde et de la vie.

 La perte d’une langue commune et d’une communauté d’expérience, perte de pensée et de jugement développée par la science moderne, ou encore l’automatisation de la production, sont autant de symptômes d’une aliénation du monde passée à sa dernière extrémité.

Un acosmisme généralisé, qui n’est pas seulement le résultat d’une politique particulière, mais l’état général d’un monde qui aurait, paradoxalement, fait de l’absence du souci du monde, de l’acosmisme, sa condition.

C’est cette condition que nous subissons aujourd’hui très concrètement à l’échelle de l’humanité.   

 

Publié dans Arendt, Pænser le monde, Tassin

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