Les schèmes de cristallisation du totalitarisme présents dans la modernité (8 avril 2020)

Publié le par Thierry Ternisien d'Ouville

Les schèmes de cristallisation du totalitarisme présents dans la modernité (8 avril 2020)
Les schèmes de cristallisation du totalitarisme présents dans la modernité (8 avril 2020)

L’époque moderne ne doit pas être réduite à l’expérience du totalitarisme. Une fois dégagés les schèmes (formes, processus) qui se cristallisent en système totalitaire, il convient d’examiner comment la société moderne les active hors d’une logique de la domination totale.

En vertu de la distinction entre « logique » de la domination totale et « schèmes » du totalitarisme, ni les « éléments » qui sont à l’origine du totalitarisme ni les schèmes de cristallisation repérables dans le système totalitaire ne sont en eux-mêmes totalitaires dès lors qu’ils ne sont pas ordonnés à un processus systématique de domination totale, obéissant lui-même à la logique acosmique de la terreur.

Arendt retrouve dans le champ de la société moderne des éléments et des schèmes de totalitarisme par lesquels s’agencent des conduites, des rapports sociaux ou techniques, qui définissent la société et l’époque modernes. Ceux-ci n’aboutissent pas à une dévastation radicale du monde tant qu’ils n’entrent pas dans un dispositif de domination totale suivant une logique démesurée d’artificialisation de la nature et de réduction vitale des humains.

L’analyse du système totalitaire fait apparaître trois schèmes de cristallisation du totalitarisme qui concernent chacun une des dimensions de l’activité humaine et portent atteinte à ce qu’Arendt désignera dans Condition de l’homme moderne comme les trois conditions fondamentales de l’humain.

1) En hypostasiant la vie dans le mouvement même par lequel elle la nie, la réduction à l’espèce (réduction vitale ou spécifique) met en évidence le schème vital du travail comme une disposition de la vita activa, non seulement incapable d’instituer un lien humain, mais rendant même cette institution impossible.

2) L’analyse de ce qui sépare la désolation de de l’isolement politique, met au jour le schème poiètique du « désœuvrement » du monde qui, incapable d’instaurer un monde commun depuis l’expérience strictement privative du monde où l’œuvre se déploie, peut conduire à sa désolation dès lors qu’il en interdit une expérience commune.

3) Le fantasme d’une société-une radicalise l’identification communautaire au cœur de la société totalitaire, démontrant combien le schème de l’Un s’élève contre la condition de pluralité, condition de toutes les conditions humaines comme clé de l’exister politique des hommes.

Si le deuxième et le troisième schème sont bien à l’œuvre dans la société moderne, c’est en revanche au premier qu’Arendt accorde toute son attention voyant en lui le point d’aboutissement actuel de la société moderne. L’animal laborans a supplanté l’homo faber qui avait lui-même recouvert l’expérience immédiatement politique du zôon politikon.

Une fois distinguée la menace que le système totalitaire fait peser sur la communauté et le monde, il faut reconnaître celle que la société moderne non totalitaire représente pour la condition humaine, avant de pouvoir formuler celle que contient l’agir humain lui-même une fois affranchi, dans le contexte époqual de l’acosmisme, de l’ordre mondain contre lequel il se retourne.

Publié dans Arendt, Pænser le monde, Tassin

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