Une nouvelle pensée, existentiale et historiale (Penser ce que nous faisons (4))

Publié le par Thierry Ternisien d'Ouville

Une nouvelle pensée,  existentiale et historiale (Penser ce que nous faisons (4))Une nouvelle pensée,  existentiale et historiale (Penser ce que nous faisons (4))

Il serait tentant de poursuive uniquement avec Bernard Stiegler tant les perspectives qu’il ouvre sont prometteuses. Ce serait dommage tant Hannah Arendt permet le lien avec les totalitarismes, par son premier livre, et met en œuvre une double démarche existentiale et historiale dans son second qui, plus que jamais, est d’actualité.

Existentiale avec l’analyse des conditions dans lesquelles la vie est donnée sur Terre aux êtres humains. Historiale avec l’étude de l’évolution de ces conditions, notamment de la hiérarchie entre les trois activités – travail, œuvre, action – à travers l’histoire de l’Occident et l’époque moderne. Analyse historiale qu’il est possible d’étendre, avec Étienne Tassin et Bernard Stiegler, au premier temps de l’âge inauguré par l’installation en 1993 d’un système technoscientifique mondial basé sur la rétention tertiaire numérique, l’invention du WEB et la généralisation d’Internet.

Dans ma première vidéo du confinement je déclarais que nous faisions aujourd’hui l’expérience du monde acosmique que, dès 1958, Arendt craignait de voir advenir.

Avec les derniers développements de la crise, ou plutôt l’interruption de l’économie, la croissance économique étant devenue la condition de base, voire unique, dans laquelle la vie est aujourd’hui donnée sur Terre aux êtres humains, nous pouvons observer, jour après jour, des manifestations de cet acosmisme, d’un monde sans monde, insouciant, ayant même pour condition d’existence l’insouciance, d’un monde devenu immonde. Isolement, confinement, port de masques, traçage numérique etc…sont autant d’exemples du refus, à des degrés divers,  de nous confronter à la vraie question qui se pose à nous.

Comment habiter dignement un monde devenant, et pour beaucoup devenu,  inhabitable, et maintenant toxique pour nous tous et tout ce qui nous entoure ? Question que la nature, à travers cette pandémie et les manifestations du dérèglement climatique allant en se multipliant, nous pose de façon répétée.

Question posée sous l’angle existential, politique, sous celui du monde commun. Qui, posée sous l’angle historial, époqual, pourrait rejoindre celle que posait en 2004 Bernard Stiegler dans Mécréance et discrédit. Comment exister et non simplement subsister ? Dans un âge où, après un changement majeur de système technique, ne se produit pas la seconde suspension ou interruption du double redoublement épokhal pour que se constitue une époque à proprement parler, pour que s’élabore une pensée nouvelle se traduisant dans de nouveaux modes de vie et que s’affirme une volonté nouvelle d’avenir, établissant un nouvel ordre – une civilisation, une civilité réinventée. Ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécu, titre d’un livre publié en 2010 par Stiegler.

Je suis personnellement convaincu que cette pensée nouvelle peut s’élaborer à partir de l’œuvre d’Arendt, en particulier de Condition de l’homme moderne.

Élaboration à partir de la distinction et de la tension entre l’appartenance-au-monde et la pluralité humaines ; de la tension entre les miracles de l’action, quand, à partir de la liberté de chacun de créer de nouveaux commencements nait un agir concerté ayant pour horizon un monde commun, et les menaces que l’action, quand, elle est dévoyée en domination des autres dans le domaine des affaires humaines, ou quand elle se tourne vers la nature pour la dominer et importer ou créer dans l’artefact humain des processus naturels nous échappant, fait peser sur le monde humain et nos existences.

Menaces si visibles aujourd’hui quand notre confinement nous permet, comme le poisson volant, d’observer les flots chaotiques dans lesquels nous baignions en temps normal.

Dans la suite de cette série d’articles je poursuivrai la tentative d’hybridation des pensées d’Arendt et Stiegler, toujours dans le cadre de la démarche existentiale et historiale d’Arendt étudiée et prolongée par Étienne Tassin.

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