Sommes-nous vraiment sortis du confinement ?
17 mars-11 mai 2020, ces huit semaines resteront dans la vie de beaucoup. Resteront-elles dans l’histoire ? Ce serait à souhaiter si c’est comme prise de conscience de la nécessité d’interrompre notre course folle vers le précipice qui engloutira le monde humain, l’espèce humaine.
Pour certains le confinement a été vécu comme le supplice de la cellule qui rétrécit, dont les murs se rapprochent jusqu’à vous écraser. Pour d’autres ces huit semaines ont été une interruption, imposée mais souvent espérée, d’une course folle, d’un processus sans fin, de journées se répétant à l’identique dans un cadre strictement imposé, mêlant automatismes et addictions. Pour beaucoup le confinement a représenté un surcroit de travail dans des conditions encore plus difficiles, rouages souvent ignorés, même méprisés, du fonctionnement de nos sociétés, devenus des acteurs essentiels pour la survie de tous. Enfin les familles ou les personnes vivant seules dans les situations les plus fragiles ou les plus fragilisées sont restées ou ont été brutalement expulsées dans les marges de notre société où sévissent la pauvreté, la misère et même la faim.
Mais, le 11 mai 2020, sommes-nous vraiment sortis du confinement ? Avons-nous (re)trouvé des vies non confinées, avec le plaisir de respirer un air pur, d’agir ensemble, d’entretenir et de réparer notre monde commun ?
Au-delà des approches politiques visant, à court ou moyen terme, une hypothétique et toujours repoussée prise du pouvoir – permettant de changer ce monde, de changer de monde –, en deçà des visions catastrophiques conduisant à s’évader du monde – et à, comme dans les années 1950 aux États-Unis, préparer sa survie après la destruction du monde humain –, ce confinement ne nous permet-il pas de réfléchir, seuls et ensemble, à l’époque dans laquelle nous vivons et au monde que nous habitons. En essayant de répondre à trois questions :
- Où en sommes-nous ?
- Où atterrir ?
- Comment bifurquer ?
À nous concentrer donc, non sur la prise du pouvoir et l’installation d’une nouvelle domination, ou, au contraire, la fuite vers le moi protégé et augmenté, mais sur une réflexion philosophique nouvelle et prolongée du politique, du vivre ensemble, de l’agir concerté, de notre rapport à la nature, de ce qu’est devenue une technoscience qui nous demande de nous adapter sans faire aucun effort pour que nous l’adoptions. En résumé à créer un nouveau commencement dans l’activité humaine en réinventant le travail, en redonnant à l’œuvre son rôle de construction d’un monde humain respectant la nature et offrant à tous et chacun l’espace public, à la fois lieu où agir et raison d’être du politique.
Pendant ces huit semaines, dans la prolongation de la recherche menée depuis 2010 sur la condition humaine à l’époque numérique, j’ai publié deux séries d’articles sur ce blog :
- la première, du 17 mars au 16 avril, intitulée Pænser le monde, présentant, avec l’aide des livres du regretté Etienne Tassin, l’analyse, historiale et existentiale, de l’époque moderne menée par Hannah Arendt dans Condition de l’homme moderne ;
- la deuxième, Penser ce que nous faisons, tentant de penser notre monde numérique et globalisé en croisant la pensée de Hannah Arendt avec celle du philosophe contemporain, Bernard Stiegler, auteur d’une œuvre centrée sur La technique et le temps. Série se concluant sur la question : Comment sortir d’une époque qui ne fait ni monde ni époque ?
J’entame aujourd’hui, avec ce premier article, une troisième série – D’un confinement à l’autre, comment en sortir ? – qui servira de fil conducteur, de septembre 2020 à juin 2021, aux travaux et échanges de l’Association Autour de Hannah Arendt, entre passé et futur.