Et avec un tel peuple, vous pouvez alors faire ce que vous voulez (Hannah Arendt en octobre 1973)

Publié le par Thierry Ternisien d'Ouville

Et avec un tel peuple, vous pouvez alors faire ce que vous voulez (Hannah Arendt en octobre 1973)

As long we have a free press there is a limit to what can happen. The moment the press is no longer free, or when the press is forced to reveal its sources, which, as you know, is now before the courts, then anything can happen. You know, what really makes it possible for a totalitarian or any other kind of dictatorship to rule is that the people are not informed. How can anyone have an opinion who is not informed? On the other hand, if everyone always lies to you, the consequence is not that you believe the lies, but that no one believes anything at all anymore—and rightly so. because lies, by their very nature, have to be changed, to be "re-lied," so to speak. So a lying government which pursues different goals at different times has constantly to rewrite its own history. That means that the people are deprived not only of their capacity to act. but also of their capacity to think and to judge. And with such a people you can then do what you please[1].

 

Tant que nous avons une presse libre, il y a une limite à ce qui peut arriver. Dès que la presse n’est plus libre, ou lorsqu’elle est obligée de révéler ses sources, ce qui, comme vous le savez, est maintenant devant les tribunaux, alors tout peut arriver. Vous savez, ce qui permet vraiment à une dictature totalitaire ou autre de gouverner, c’est que le peuple n’est pas informé. Comment quelqu’un peut-il avoir une opinion qui n’est pas informé ? D’un autre côté, si tout le monde vous ment toujours, la conséquence n’est pas que vous croyez aux mensonges, mais que personne ne croit plus rien du tout – et à juste titre. Parce que les mensonges, de par leur nature même, doivent être changés, pour être « re-mentis », pour ainsi dire. Ainsi, un gouvernement menteur qui poursuit des objectifs différents à différents moments doit constamment réécrire sa propre histoire. Cela signifie que les gens sont privés non seulement de leur capacité d’agir, mais aussi de leur capacité de penser et de juger. Et avec un tel peuple, vous pouvez alors faire ce que vous voulez.

 

[1] Interview with Roger Errera (octobre 1973) dans Thinking Without a Banister, Essays in Understanding 1953-1975, Edited and with an introduction by Jerome Kohn, Schocken Books, New York, 2018, p. 491-492.

 

Publié dans Vérité, Mensonge, Arendt

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