Vérité (et confiance dans le monde)
La question est précisément de savoir comment on peut éviter d'une manière générale de nager dans le courant.
Le concept de vérité et la confiance dans le monde :
« Adaequatio rei et intellectus » : ce qui est présupposé c'est une égalité non explicitée et fondamentale des structures, qui rend possible l'« adaequatio » de l'« intellectus » à la « res ». L'homme est enchâssé dans le monde, et cette connaissance de l'adéquation et, pour ainsi dire, de cet ajustement, constitue la meilleure preuve du fait que l'homme et le monde vont de pair.
Hegel : les formes du mouvement de l'esprit et les formes du mouvement des événements et des destinées de l'espèce humaine sont identiques. L'homme n'est plus casé dans le monde, mais il nage dans le fleuve du devenir. Les mouvements de sa nage sont pour ainsi dire adaptés a priori aux mouvements du flux du devenir du monde, tout comme les capacités de l'« intellectus » étaient adaptées a priori aux qualités de la « res ».
Marx : étant donné que, suivant Hegel, l'homme peut nager dans le fleuve et que la nage est manifestement une activité par rapport au simple courant du flux du devenir du monde qui s'écoule, il en vient à penser, pour des raisons faciles à comprendre, que le nageur doit avoir le dessus sur le courant et qu'il peut en guider l'écoulement selon certaines directions, à supposer seulement qu'il comprenne les lois du courant ; ceci ne vaut naturellement qu'à l'intérieur des lois du fleuve, qui sont en même temps les lois de la natation. L'inutilité de la tentative de Marx : le nageur ne fait que précipiter son propre être-emporté-par-le- courant — c'est-à-dire, en définitive, son propre naufrage.
La question est précisément de savoir comment on peut éviter d'une manière générale de nager dans le courant[1].
[1] Hannah Arendt, Journal de pensée, Cahier 2, Notice 19, p. 59, décembre 1950.