Repères pour un monde numérique (1/7)
Support du cours donné le 8 octobre 2015 (1oh -12h) à l'Université du Temps Libre (UTL) d'Orléans. Salle 4 du bâtiment Michel Royer.
Notre monde est numérique.
Nos vies, active et de l’esprit, sont de plus en plus conditionnées par les nombres et les chiffres.
De deux façons qui sont en train de se rejoindre et de se renforcer.
La plus ancienne c'est la domination du nombre, du calcul. Venue de l'échange marchand, de la monnaie, elle s'est étendue à la vision de la nature, avec le projet moderne d'en devenir possesseur et maître. C'est la mathématique universelle de Descartes et le développement des sciences de la nature puis des sciences humaines. Domination qui s’est élargie au domaine des affaires humaines, où, aujourd’hui, la politique est mise au service de l'économie, l'économie au service de la finance et où le gouvernement des actions des hommes par la loi tend à être remplacé par la gouvernance des comportements humains par les nombres. Dans les cours donnés à l’UTL en 2010 et 2011 j’ai donné à ce mode de numérisation le nom de numérisation économique.
La seconde, plus récente, c'est la domination par les chiffres, la transcription et la reproduction numérique, le remplacement des technologies analogiques par les technologies digitales, le processus de convergence numérique, la domination d'une nouvelle langue, celle des machines, la numérotation binaire. Domination rendue possible par l'invention de l’informatique, du transistor, des circuits intégrés, du réseau Internet et de la toile numérique (le Web) permettant d’y naviguer, des techniques de numérisation des données, des textes, des images et des sons. J’ai donné à ce mode de numérisation le nom de numérisation technologique.
Nous ne vivons probablement ni une crise, ni une époque de changements mais plutôt un changement d’époque. Changement d’époque que pressentait Hannah Arendt, en 1958, dans Condition de l’homme moderne, lorsqu’elle distinguait âge moderne et monde moderne. Changement d’époque qu’un philosophe contemporain, Bernard Stiegler, rapproche notamment de celui provoqué par l’invention de l’écriture alphabétique, qui conduisit en Grèce l’invention de la philosophie.
Face à un tel changement rien de plus normal que nous soyons désorientés, perdus. Après avoir consacré deux saisons à l’étude de l’œuvre du penseur politique le plus important du XXe siècle, Hannah Arendt, et avant d’entamer, la saison prochaine, un voyage dans ce nouveau monde numérique, je vous propose, cette saison, de nous doter ensemble d’un cadre, et de quelques repères pour ne pas nous laisser submerger par les deux maux du rejet et de la fascination. Je reprends ainsi la réflexion conduite lors des saisons 2010/2013 de l’UTL.
Ce cours est consacré à la construction d’un cadre de recherche, de réflexion et d’échange. Les résultats en seront consignés, au fur et à mesure, sous la forme d’un texte qui évoluera donc tout au long de la saison et vous sera envoyé avant chaque séance.
Les sept séances mensuelles, d’octobre à avril, seront suivies, en mai, de trois séances hebdomadaires où je vous donnerai la primeur de mon second livre consacré à Hannah Arendt : Lire Hannah Arendt, voyage à travers une œuvre politique.
Nous commencerons en examinant quelques-unes des ressources dont nous pouvons disposer. Si la période actuelle, quand on regarde l’actualité, peut souvent nous conduire à une forme de découragement et même de désespoir, elle est aussi porteuse, derrière le bavardage médiatique assourdissant, d’un grand nombre de réflexions porteuses de sens et donc d’avenir.
En premier lieu deux œuvres qui m’accompagnent aujourd’hui, avec leur « vocabulaire », dans ma réflexion. Celle de Hannah Arendt depuis 2002 : blog(s), livres, cours. Celle de Bernard Stiegler que, depuis 2010, je travaille au fur et à mesure de son avancée et à travers ses différents supports : livres, articles, site associatif, école de philosophie.
Les deux premiers consacrés à la numérisation de notre monde
Les deux suivants traitant de l’évolution du monde et de la condition humaine
Livres qui nous serviront de boussole
Un premier exemple avec quelques articles de cette année 2015 du Monde diplomatique.
- Résister à l’uberisation du monde (septembre 2015)
- L’ordolibéralisme allemand, cage de fer pour le Vieux Continent (août 2015)
- Police de la pensée économique à l’Université (juillet 2015)
- Feu vert à la surveillance de masse (juin 2015)
- Une hégémonie fortuite (mai 2015)
- Périssables démocraties (avril 2015)
- Les recettes des nouveaux pragmatiques (avril 2015)
- Dette publique, un siècle de bras de fer (mars 2015)
- Loi Macron, obscur objet du désir (mars 2015)
- Assauts contre les Lumières (février 2015)
- Le rêve de l’harmonie par le calcul (février 2015)
- Privés de vie privée (janvier 2015)
[1] Le devenir du nombre, Marc Terrence, Stock, Dans la nuée, réflexions sur le numérique, Byung-Chul Han, Actes Sud, La déconnexion des élites, Laure Belot, Les arênes, Quand l’austérité tue, David Stuckler et Sanjay Basu, Autrement, Sciences et pouvoirs, Isabelle Stengers, La Découverte, Sauver le monde, Michel Bauwens, Les Liens qui Libèrent, Hackers, au cœur de la résistance numérique, Amaelle Guiton, Au diable vauvert, La démocratie Internet, Dominique Cardon, La République des Idées, Seuil, Le sacre de l’amateur, Patrice Flichy, La République des Idées, Seuil, La société numérique en question(s), Isabelle Compiègne, Sciences Humaines, Les liaisons numériques, Antonio A. Caselli, Seuil, Le citoyen de verre, Wolfang Sofsky, L’Herne, Théorie du drone, Grégoire Chamayou, La fabrique éditions
[1] Le principe de Jérôme Ferrari , Manuel de survie à l’usage des incapables de Thomas Gunzig , Théorème vivant de Cédric Villani, Les rêveurs lunaires de Cédric Villani et Edmond Baudoin, SMS, film de Gabriel Julien-Laferrière, Halt and Catch Fire, série télévisée américaine de Christopher Cantwell et Christopher C. Rogers, The Wire (Sur écoute), série télévisée américaine de David Simon et Ed Burns.
Je ferai sûrement appel à quatre auteurs qui enrichissent ma réflexion depuis plusieurs années : Edgar Morin, François Jullien, Dany-Robert Dufour, Jean-Pierre Dupuy (et son inspirateur Ivan Ilitch).