21 mars 2020 : la dignité humaine de cofondateur d’un monde commun

L’idée d’humanité reste une abstraction tant qu’on ne la pense pas depuis sa condition politique : depuis l’humanité d’un monde commun, à la fois condition et horizon de toute politique. C’est au cœur de son analyse du totalitarisme qu’Arendt rencontre ainsi l’idée que la dignité humaine tient au fait d’être « cofondateur d’un monde commun ».

Sa réfutation du concept métaphysique de nature humaine au profit des conditions de l’humanité élargit cette question aux transformations technoscientifiques des conditions humaines elles-mêmes : de la naissance et de la mort, de la condition terrestre de l’humanité et de son appartenance à un monde.

Arendt nous invite à penser la transformation des conditions humaines à l’époque nouvelle qui s’ouvre, la nôtre, par références aux essais de transformation de la nature humaine menés dans les « laboratoires » concentrationnaires. Le gigantesque « life process » mis à l’épreuve dans le système totalitaire se retrouve investi sous forme d’un « life process » social, issu de la logique même du capitalisme. Nous en expérimentons aujourd’hui, avec la pandémie coronovarienne, à la fois l’aboutissement et l’effondrement.

Derrière cette reconnaissance du lien entre modernité et domination totale, se trouve l’ambivalence de l’action, à la fois activité propre de la condition politique de l’humain comme commencement (liberté et pluralité) et menace pour l’humanité elle-même. Soustraite au domaine des affaires humaines pour être importé dans le domaine des sciences de la nature ou de l’histoire, l’action signifie le pouvoir de mettre en branle des puissances technoscientifiques de transformation des conditions humaines au cours irréversible et aux effets imprévisibles. Par où l’action, activité essentiellement humaine, comme mode d’être des êtres pluriels, risque ainsi de contribuer à l’acosmisme du monde humain.