Un monde nouveau en accoucherait-il ou l'humanité disparaîtrait-elle ?

Publié le par Thierry Ternisien d'Ouville

Cette nuit-là lui étaient revenus des souvenirs de son premier travail comme chercheur, pilote filière et responsable de test dans un centre de Recherche et Développement de Circuits Intégrés. Ces fameuses puces qui avaient tout envahi et dont peu de monde connaissait les modes de fabrication qui alliaient propreté extrême (salles blanches) et pollution chimique (sites classés Seveso).

Il songeait ce matin que les bases matérielles du système technique qui avait recouvert le monde et était le support de la globalisation économique et financière étaient inconnues de l'immense majorité de ses contemporains. Il avait eu la chance de les côtoyer dans le cadre de laboratoires de recherches pendant vingt ans.

Il en avait retenu l'extrême fragilité du pharmakon numérique, revers de sa puissance, les exigences de l'expérimentation scientifique et les illusions de la modélisation informatique par laquelle on avait cru la remplacer.

Cela lui avait permis de ne pas se laisser prendre par la pandémie psychique du Covid. Comme bien des gens de bon sens et des scientifiques de haut niveau mais contrairement aux diplômés qui ne connaissaient de la Science, au mieux, qu'une version abstraite et informatisée.

Il songeait à la difficulté qu'il rencontrait.

Si écarter le cadre de pensée lui semblait indispensable pour comprendre d'où venait ce qui se passait et ne pas devenir fou dans un monde qui le devenait, il n'était pas indifférent à la profusion de livres traitant des événements récents, des premières années de cette troisième décennie du siècle nouveau.

La formulation panser le monde allait lui fournir une piste en rassemblant tous ces livres récents, publiés depuis la venue au pouvoir d'un représentant direct de la finance, sans carrière politique, sous une rubrique : identification des blessures infligées au monde.

Les pensées s'étaient bousculées en lui ce matin avant de s'aligner un peu. Il avait songé aux compagnons de vie qu'il s'était choisi au fil du temps et qui remplissaient sa bibliothèque.

Proust, la mémoire et nous. Arendt, le mal totalitaire et nous. Anders, l'obsolescence de l'homme et nous. Lacan, le Réel et Nous. Freud, l'inconscient et nous. Weil, Valery, Guillemant, Souznel, l'esprit et nous. Morin, La méthode et nous. Illich, la convivialité et nous, Girard le sacrifice et nous...

Il avait aussi songé à l'espace et le temps qu'il avait habités. La France, qu'il aimait profondément et ces bientôt 74 ans insérés entre les horreurs tragiques de la première moitié de du siècle des extrêmes, héritier du long siècle des révolutions et empires, et le début de ce siècle ayant vu tomber les limites politiques, techniques et économiques, entraînant les hommes dans une nouvelle crise de démesure. Un monde nouveau en accoucherait-il ou l'humanité disparaîtrait-elle ?

Un monde nouveau en accoucherait-il ou l'humanité disparaîtrait-elle ?

Publié dans Fragments

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